Paquebots, chalutiers, tankers en fin d’exploitation finissent leurs jours dans des chantiers de démolition navale, mis à la casse, vendus pour le prix de leur acier, désossés sur les plages des pays les plus pauvres du monde, en Inde ou au Bangladesh, où les salaires sont réduits et les normes de travail, de sécurité et de protection de la santé inexistantes.
Tout est parti d’un effet de contrastes entre le monde à ciel ouvert de ces chantiers et celui clos des bateaux, entre le décor des plages qui s’étendent à perte de vue et celui des navires étroits et profonds, entre l’univers, du profit et de la cupidité pour les uns et celui de la survie par le travail pour les autres.
Au-delà du sujet d’actualité mêlant social, géopolitique et écologie, qui mobilise notre attention, Safety First consiste en une expérience immersive qui mobilise nos sens.
L’auteure et le musicien ont tissu une écriture où chaque proposition musicale est réinterprétée dans le texte (et vice versa). Un jeu de va-et-vient où il ne s’agit pas de traiter d’abstractions mais de sujets bien réels, incarnés, jouant sur tous les registres pour interroger notre rapport à la vie, au temps, considérant non pas la fin d’un cycle mais l’ensemble du cycle, de la production à la destruction et à la renaissance.
Si le travail d’Olivia Rosenthal vise à exprimer un état affectif extrême traversant toute la polysémie du projet, la texture musicale d’Eryck Abecassis, sans cesse changeante et bouleversée, est, par son exigence lyrique, particulièrement apte à transcrire nos états émotifs.
« Je veux montrer le travail, celui des créations, des usages, des destructivités (nos capacités de destruction) et, autour de ces cycles, construire une œuvre du ressentir (gefühl). Par immersion continue.
Chercher aussi comment et par quoi la beauté – comment ne pas considérer toute forme de transformation de la matière comme telle – se délite partout dramatiquement au contact des profits aveugles.
L’histoire : se vit[usages]…s’écrit[créations]…
se lit [destructions]
Création / Usage / Destruction
La dramaturgie des Safety First va s’élaborer autour de trois aspects de la réalité, que nous percevons souvent comme séparés. Ce n’est pas que nos sens nous trompent, ils sont peut-être mal entraînés, endormis par l’habitude, nous manquons peut-être d’une certaine polyphonie de la perception.
L’Inde m’a montré une façon différente de sentir-utiliser le temps. Là où certains décrivent un chaos, d’autres ont le sentiment plus ou moins puissant du millefeuille temporel. Nous allons ainsi créer trois espaces, entrelacés par le tissage des différents médias. Une phrase devenant une image, qui deviendra un son… perpétuel flux des transformations, c’est l’histoire du métal des bateaux qui est aussi la nôtre.
Le voyage-création, naissance in-finie, de la nuit à la lumière, le vol, le vivant qui se rend au vivant, humble et pure nourriture dans les tours du silence, la machine hyper-complexe, que l’on décide morte, qui se rend à l’usage, simple matière brute dans les chantiers, en une histoire sans cesse rejouée.
Un chantier-opéra : être au centre du travail des corps et des voix, retrouver l’évidence du chant-jeu, une recherche qui me semble incontournable.
L’énergie musicale : flux continus de matières, mélodies-textures, madrigaux saturés, contrepoint de masses, poids des sons se renversant sur le poids des mots. Pureté des voix émergeant du cha¬os. Une organisation sonore qui comme un condensateur électrique, accumule son énergie pour la diffuser vers les autres médias.
production / accumulation / décharge-perte.
Une musique qui agit comme une caméra, tournée vers l’intérieur, un accélérateur des particules neurones, des émotions et des percevoir. » E. Abecassis